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Revirement jurisprudentielle sur l’acquisition de congés payés pendant un arrêt maladie : la demande d’indemnité compensatrice de congés payés se heurte aux transactions homologuées

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17/10/2024
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Depuis, les arrêts du 13 septembre 2023[1],la Chambre sociale de la Cour de cassation considère, dans son alignement avec la position de la Cour de Justice de l’Union européenne, que le salarié en arrêt de travail pour maladie non professionnelle acquière des congés payés pendant son arrêt.

Récemment, le gouvernement a introduit un amendement dans le projet de loi visant à assurer la conformité du droit national au droit européen en matière de congés payés en cas de maladie du salarié. Le projet de loi a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 18 mars. Il doit désormais être examiné en Commission mixte paritaire pour être adopté définitivement, et pourrait, une fois adopté, être soumis au Conseil constitutionnel. De nouvelles règles sont envisagées, à savoir notamment :

-       L’assimilation des absences pour maladie ou accident à du temps de travail effectif ;

-       L’acquisition de 2 jours ouvrables de congé par mois d’absence dans la limite de 24 jours par période de référence ;

-       La suppression de la limite d’une durée ininterrompue d’un an de l’arrêt de travail, au-delà de laquelle l’absence n’ouvre plus droit à congé ;

-       Lorsque le salarié est dans l’impossibilité, pour cause de maladie ou d’accident, de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés qu’il a acquis, le bénéfice d’une période de report de 15 mois afin de pouvoir les utiliser.

-      Étant précisé que cette période débute postérieurement à la reprise du travail. L’employeur doit porter à la connaissance du salarié, dans les dix jours qui suivent sa reprise du travail, les informations suivantes par tout moyen conférant date certaine à leur réception :

·     Le nombre de jours de congé dont il dispose ;

·     La date jusqu’à laquelle ces jours de congé peuvent être pris.

(Amendement n°44 du 18 mars 2024 au « projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole ») 

D’ores et déjà, depuis le revirement de laCour de cassation, il est possible de saisir le conseil de prud’hommes en vue d’obtenir une condamnation de l’employeur à payer au salarié l’indemnité des congés payés désormais acquis à la suite des arrêts maladie y compris non professionnel[2].

Se pose néanmoins la question de savoir si la transaction signée à autorité de la chose jugée et fait donc obstacle à une action en paiement des congés payés acquis à la suite du revirement jurisprudentiel et de la position gouvernementale, alors même que cette position n’était pas connue moment de sa signature.

En droit, la transaction est définie et régie par le Code civil. Il s'agit d'un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître. Elle suppose donc l'existence d'un différend, quels qu'en soient l'objet, et la volonté d'y mettre fin par des concessions émanant de chacun des signataires. Lorsqu'elle est valable, elle a le même effet qu'un jugement définitif et vaut autorité de la chose jugée. Autrement dit, aucune contestation n'est possible sur les points qui ont fait l'objet de la transaction (C. Civ. Art. 2044 et suivants).

Pour que la transaction soit valable, la jurisprudence pose plusieurs critères :

1° elle doit être claires et non équivoques ;

2° elle doit préciser que l’objet de cette transaction est l’ensemble de l’exécution et de la rupture du contrat de travail liant les parties ;

3° l’acte doit stipuler que le salarié renonce expressément et irrévocablement à toute procédure, de quelque nature que ce soit, devant quelque instance (juridiction, administration ou organisme) que ce soit, pour tout ce qui a trait, directement ou indirectement, à l’exécution ou à la rupture de son contrat de travail. 

Pour le juge, une fois ces conditions remplies alors la transaction est revêtue de l’autorité de chose jugée, c’est-à-dire, qu’aucune nouvelle action contentieuse ne peut être initiée.

Toutefois, la jurisprudence considère que l’emploi d’une formule générale dans la transaction permet également de faire échec à toute action contentieuse, même si elle porte sur un point autre que le différend à l'origine de la transaction.

La Chambre sociale de la Cour de cassation a notamment eu récemment à se prononcer sur la portée d’une transaction comportant une clause par laquelle une salariée renonçait à « toute prétention, réclamation, action ou instance de quelque nature qu'elle soit, pouvant avoir pour cause, conséquence ou objet, directement ou indirectement, l'exécution ou la cessation des fonctions qu'elle [exerçait] ».

En l’espèce, la salariée par ailleurs liée par une clause de non-concurrence avait ultérieurement saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de la contrepartie pécuniaire qui assortissait cette clause. Elle considérait que la transaction ne comportait aucune mention sur la clause de non-concurrence dont il résulterait que les parties avaient réglé cette question.

Saisi de ce contentieux, le juge devait répondre à la question de savoir si la rédaction de la transaction faisait échec au paiement de la contrepartie, alors même que l'employeur n'avait pas expressément renoncé à l'obligation de non-concurrence.

La Cour de cassation répond par la positive : les obligations réciproques des parties au titre d'une clause de non-concurrence sont comprises dans l'objet de la transaction par laquelle ces parties déclarent être remplies de tous leurs droits, mettre fin à tout différend né ou à naître et renoncer à toute action relative à l'exécution ou à la rupture du contrat de travail.

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 17 février 2021, 19-20.635, Publié au bulletin

Cette solution s'inscrit dans le droit fil de la jurisprudence de la Chambre sociale qui confère une portée très large aux clauses générales de renonciation incluses dans les transactions.

La Haute juridiction sociale considère que même si la transaction ne vise pas expressément cette prétention, il n’en demeure pas moins que la portée générale de transaction exclue toute action contentieuse. Le juge a, ainsi, rejeté les demandes suivantes même si elles n’étaient pas citées dans la transaction :

-       Une prime d’intéressement (Ass. Plen. 4 juillet 1997 n°93-13.375) ;

-       Une indemnité compensatrice de préavis (Cass. Soc. 5 novembre 2014 n°13-18.984) ;

-       L’indemnisation du préjudice spécifique d’anxiété des travailleurs exposés à l’amiante (Cass. Soc. 11 janvier 2017 n°15-20.040) ;

-       Le paiement d’une pension de retraite supplémentaire (Cass. Soc. 30 mai 2018n°16-25.426).

 De même, dès lors qu’aux termes de la transaction, le salarié se déclarait entièrement rempli de ses droits et se désistait de toutes instances et actions présentes ou à venir découlant directement ou indirectement de l'exécution et de la rupture de ses relations avec la société employeur, les juges du fond ne pouvaient pas considérer comme recevable l'action de l'intéressé relative à l'absence ou l'insuffisance de cotisations versées aux régimes de retraite par l'employeur (Cass. Soc. 6septembre 2023 n°21-24.407).

Encore dans le même sens, la Cour d’appel considère l’action du salarié irrecevable et ayant autorité de force jugée lorsque la transaction stipule qu’il « reconnaît être définitivement rempli de tous ses droits nés ou à naître du fait de l’exécution et/ou de la rupture de son contrat de travail sans exception, ni réserve » et qu’il « renonce à expressément et irrévocablement à toute procédure, de quelque nature que ce soit, devant quelque instance (juridiction, administration ou organisme) que ce soit, pour tout ce qui a trait, directement ou indirectement, à l’exécution ou à la rupture de son contrat de travail » (CA Aix-en-Provence,11 mars 2021 n°18/11850).  

En pratique, le salarié et l’employeur règlent définitivement leur différend par l’homologation d’un procès-verbal devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes, à la suite d’une transaction signée aux termes de laquelle les Parties ont fait des concessions réciproques. 

À titre d’illustrations,

-  La transaction stipule que celle-ci « règle l’ensemble des différents ayant existé ou existant entre les parties et qui trouveraient leur origine dans la formation, l’exécution ou la rupture du contrat de travail ayant existé entre elles », sans faire mention de différents « à venir » tout en précisant « ainsi que tout ce qui en serait la conséquence directe ou indirecte.

-  Le procès-verbal de conciliation homologué stipule expressément la contrepartie suivante : « à renoncer à toute instance ou action, quelle qu’en soit la nature (civile, pénale, administrative…), née ou à naître, contre la Société, relative à la conclusion, à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail avec la Société et, notamment, à lui réclamer tous autres avantages en nature ou en argent et tout dédommagement de quelque sorte que ce soit (salaires quelle qu’en soit la dénomination, rémunération variable, primes et indemnités diverses), remboursement de frais professionnels et débours, indemnités de congés payés ».  

La combinaison de ces clauses permet à notre sens d’exclure la possibilité d’intenter une action en vue d’une demande de paiement de l’indemnité de congés payés acquis pendant les arrêts de travail, quand bien même la position de la jurisprudence et du législateur a évolué par rapport au moment de sa signature.

[1](Cass., soc., 13 sept. 2023, n° 22-17.638)

(Cass., soc., 13 sept. 2023, n° 22-10.529)

(Cass., soc., 13 sept. 2023, n° 22-14.043)

(Cass.,soc., 13 sept. 2023, n°22-17.340)

[2]CA Bordeaux, ch. soc. sect. a, 7 févr. 2024, n° 23/04292, CA Versailles, 6ech., 5 oct. 2023, n° 22/02795.

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