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L’exercice du droit de retrait dans la fonction publique

Auteur :
Maître Bénédicte Rousseau
|
Publié le
9/12/2023
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Le droit de retrait est un droit individuel reconnu aux agents publics afin de leur permettre de quitter leur poste s'ils estiment être confrontés à un danger grave et imminent, pour leur vie ou leur santé, ou bien s'ils constatent une défectuosité des normes de sécurité au sein du service.

Une jurisprudence administrative a pu qualifier le droit de retrait comme un principe général du droit (TA Besançon 10 octobre 1996 req n°96-0071). Cependant, son exercice est strictement réglementé et tout abus sanctionné disciplinairement, voire par le risque de licenciement pour abandon de poste si l’agent concerné ne respecte pas la procédure.

Les modalités d’exercice du droit de retrait sont précisées, pour l’essentiel, à l’article 5-6 du décret n°82-453 du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique.

Quelles sont les conditions d'exercice du droit de retrait des agents publics ?

L’article 5-6 du décret n°82-453 du 28 mai 1982 indique que :

« I. - L'agent alerte immédiatement l'autorité administrative compétente de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection.

Il peut se retirer d'une telle situation.

[…]

III. - La faculté ouverte au présent article doit s'exercer de telle manière qu'elle ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent. »

Selon la réglementation, pour exercer son droit de retrait, un agent public doit :

· soit être confronté à une situation de danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ;

· soit constater une défectuosité dans les systèmes de protection garantissant la sécurité et la santé des agents sur leur lieu de travail.

Quels sont les dangers graves et imminents ?

Dans le contexte du droit de retrait, on entend par danger.s grave.s et immient.s (DGI) toutes les situations de travail présentant un risque sérieux et immédiat pour la vie ou la santé d'un agent public, voire pour les usagers du service public.

Exemples de dangers graves et imminents susceptibles de justifier l'exercice du droit de retrait :

·     Menace d'agression physique : situation où l’agent est confronté à une menace de violence physique immédiate (de la part d'un collègue, d’un supérieur ou d'un usager).

·     Risques d'accidents graves : situation où des équipements de sécurité essentiels sont défectueux ou bien manquants

·     Exposition à des produits chimiques dangereux : l’exposition des agents à des produits chimiques dangereux sans les protections adéquates peut constituer un DGI

·     Incident sanitaire : tout événement soudain mettant en danger la santé des agents ou des usagers, tels un incendie, une fuite de gaz toxique, etc.  

En somme, tout événement imprévu et potentiellement dangereux mettant en péril la vie ou la santé des personnes présentes dans le service public est susceptible de caractériser un DGI, et donc de justifier l’exercice du droit de retrait.

L'appréciation d'un danger grave et imminent est subjective. Si elle dépend de la perception de chaque agent, l’administration employeur et, le cas échéant, le juge administratif, exercent un contrôle pour éviter tout abus.

Quelles sont les défectuosités dans les systèmes de protection ?

On entend par défaillance dans les systèmes de sécurité de l'établissement les situations dans lesquelles :

·  Soit les systèmes de sécurité en place ne fonctionnent pas correctement ou sont obsolètes ;

·  Soit il n’existe aucun système de sécurité pour protéger les agents et les usagers de risques potentiels pour assurer la protection de leur santé ou leur intégrité physique.

De telles défaillance peuvent justifier l’exercice du droit de retrait de ou des agents publics qui en font le constat.

Le harcèlement justifie-t-il un droit de retrait ?

Rien ne s’oppose à ce que le harcèlement puisse être considéré comme un facteur justifiant l'exercice du droit de retrait, à la condition qu’il crée un danger grave et imminent pour la vie ou la santé du ou des agent.s concerné.s.

En pratique, toutefois, les juridictions administratives sont réfractaires pour reconnaître que le harcèlement moral puisse justifier un droit de retrait, et refusent notamment s’assimiler le stress intense subi par les agents harcelés à un DGI (v. CE, 16 décembre 2009, n°320840, T. ; CAA Nancy, 25 janvier 2007, n° 05NC00043).

En cas d’exercice de son droit de retrait au motif qu’il était harcelé, la procédure pour abandon de poste diligenté par l’administration contre l’agent concerné a été jugée légale par la juridiction administrative (TA Dijon 15avril 2005 n° 0500689).

Dès lors, en l’état actuel du droit, le harcèlement en lui-même ne donne pas droit au retrait.

Cela ne signifie pas, pour autant, qu’il n’existe aucun moyen de mettre fin à une situation de harcèlement, le cas échéant en urgence en introduisant un référé liberté qui permettra de le faire cesser sous 48 heures (CE, ord. 19 juin 2014, n° 381061,T.).

En toute hypothèse, l’agent public harcelé doit en priorité demander la protection fonctionnelle auprès de son employeur. Il importe que celui-ci ait préalablement documenté les faits de nature à faire présumer un harcèlement pour que soit engagée la protection fonctionnelle.

Quelle est la procédure à suivre pour exercer son droit de retrait ?

L'agent public qui se trouve dans une situation présentant un danger grave et imminent dans le cadre de son travail doit en alerter immédiatement son chef de service ; il peut ensuite décider de quitter son poste en invoquant son droit de retrait.

Conseil de l’avocat : il est fortement recommandé à l'agent public, lorsqu’il soupçonne un dysfonctionnement des dispositifs de sécurité ou une menace sur la santé des personnes présentes dans le service ou l’établissement, de conserver toute preuve de la situation dangereuse (photos, témoignages, rapports, etc.). Cela lui permettra de pouvoir justifier sa décision d’exercer son droit de retrait en cas de contestation de la part de l’employeur public.

Le fonctionnaire ou le contractuel dont la vie ou la santé est menacée sur son lieu de travail peut aussi informer un représentant du personnel, ou une organisation syndicale représentée au sein du Comité Social (d’établissement/d’administration/territorial),et plus particulièrement la formation spécialisée en matière de sécurité et de santé au travail.

Dans tous les cas, l’événement à l’origine du DGI doit être consigné dans un registre spécial. Ce registre des dangers graves et imminents est tenu sous la responsabilité du chef de service ; il est accessible à tous les agents et mis à la disposition des membres du comité social, des inspecteurs santé et sécurité au travail et de l'inspection du travail.

Si l'agent public et son administration ne parviennent pas à un accord sur la dangerosité de la situation ou sur le dysfonctionnement d’un système de prévention des risques pour la santé et la sécurité au travail, il peut être nécessaire de faire appel à l'Inspection du Travail ou à un conseiller en santé et sécurité au travail pour résoudre le différend.

Une fois le DGI signalé, le chef de service doit procéder sans délai à une enquête et prendre les dispositions nécessaires pour remédier à la situation dénoncée. Il en informe l’instance représentative du personnel compétente (CSE, CST, CSA– ci-après « comité social » / F3SCT = formation spécialisée en santé et sécurité dans les conditions de travail).

En cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, le comité social est réuni dans les 24 heures. L'inspecteur du travail est informé de cette réunion et peut y assister :

· Article 52 du décret n° 2021-1570 du 3 décembre 2021 relatif aux comités sociaux d'établissement des établissements publics de santé, des établissements sociaux, des établissements médico-sociaux et des groupements de coopération sanitaire de moyens de droit public.

· Article 68 du décret n° 2021-571 du 10 mai 2021 relatif aux comités sociaux territoriaux des collectivités territoriales et de leurs établissements publics.

· Article 67 du décret n° 2020-1427 du 20 novembre 2020 relatif aux comités sociaux d'administration dans les administrations et les établissements publics de l'État.

L’employeur public décide des mesures à prendre après avis du comité social. En cas de désaccord entre l'administration et le Comité Social sur les mesures à prendre et leurs conditions d'exécution, l'inspecteur du travail est obligatoirement saisi.

L’agent concerné ne peut reprendre son activité qu'après avoir reçu l'ordre de le faire de l'autorité publique, dès lors que le danger est écarté.

Faire valoir son droit de retrait en 5 étapes

Pour exercer son droit de retrait dans la fonction publique, voici les étapes à suivre par les agents publics qui craignent pour leur santé et leur sécurité (celle de collègues ou d’usagers) sur leur lieu de travail :

1.   Identifier le danger grave et imminent (DGI) ou le dysfonctionnement des systèmes de prévention des risques : l'agent est confronté à une situation de travail dont il estime qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé (ou celle de collègues, voire d’usagers du service public).

2.   Alerter sans délai l'employeur public : une fois le DGI ou le dysfonctionnement identifié, l'agent doit en alerter immédiatement ses supérieurs hiérarchiques ou la personne en charge de la sécurité dans son administration.

3.   Se retirer du lieu de travail : dès lors que la situation l'exige et si l’agent estime que cela est nécessaire pour sa sécurité et la préservation de sa santé, celui-ci a le droit de quitter son poste.

4.   Rester à disposition de l'employeur public : pendant tout le temps où il exerce son droit de retrait, l'agent public doit rester à la disposition de l’administration qui l’emploie et se tenir prêt à reprendre ses fonctions dès que le DGI est écarté ou qu’il a été mis un terme au dysfonctionnement dénoncé.

5.   Reprise de l'activité sur ordre de l'autorité publique : l'agent ne pourra reprendre son poste que sur ordre de sa hiérarchie, une fois qu’il aura été mis fin au DGI ou au dysfonctionnement à l’origine de l’exercice de son droit de retrait

Quelle est la durée d’un droit de retrait ?

La durée d’exercice du droit de retrait dépend en pratique de chaque situation spécifique et de la nature du danger grave et imminent dénoncé.

Il n'y a pas de durée prédéfinie, si ce n’est celle prise par l’administration pour écarter tout danger pour la santé et la sécurité des agents et des usagers du service public.

Pour rappel, l’article 5-6 du décret n°82-453 du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique prévoit que :

« I.– […]

L'autorité administrative ne peut demander à l'agent qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection. »

L'agent qui exerce son droit de retrait doit rester en contact régulier avec son employeur pour être informé de l'évolution de la situation et pour être prêt à reprendre ses fonctions dès la fin du DGI ou la réparation du dysfonctionnement en cause.

L’employeur public peut-il contraindre un agent à renoncer à son droit de retrait ou bien le sanctionner ?

Pour répondre simplement : NON, dès lors que le retrait est justifié.

L'administration employeur ne peut pas demander à un agent de reprendre son activité si un danger grave et imminent persiste ou dans l’hypothèse où une défectuosité du système de protection est avérée.

Attention aux abus ! Si tout agent a la responsabilité de veiller à sa propre sécurité et à celle des autres lorsqu'il est confronté à un danger grave et imminent ou à un risque avéré en raison d’un dysfonctionnement des systèmes de protection, l'exercice du droit de retrait doit être effectué de manière responsable. Tout abus est susceptible de conduire à une sanction disciplinaire (au contraire, l’exercice justifié du droit de retrait ne peut en aucun cas conduire à l’engagement d’une procédure disciplinaire – v. article 5-6, II du décret n°82-453 du 28 mai 1982).

De plus, l’employeur public qui estime que l’utilisation du droit de retrait est abusive peut engager une procédure d’abandon de poste pouvant conduire à un licenciement, à la condition qu’une mise en demeure régulière préalable de reprendre le travail soit notifiée à l’agent (CE 10 janvier 2000 n°197591, publié).

En cas d’application du droit de retrait, la rémunération est-elle maintenue ?

Pour répondre simplement : OUI.

L’article 5-6 du décret n°82-453 du 28 mai 1982 indique sur ce point que :

« II. – […] aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un agent ou d'un groupe d'agents qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d'eux. »

En cas d’exercice de son droit de retrait par un agent public, sa rémunération est donc normalement maintenue.

Y a-t-il des professions qui excluent l’exercice du droit de retrait ?

OUI, il existe des exceptions ou des limitations en fonction de certaines professions ou de certaines situations spécifiques.

En effet, certaines missions sont incompatibles avec l'exercice du droit de retrait, car il compromettrait l'exécution même de ces missions.

L’article 5-6 du décret n°82-453 du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique prévoit à cet égard que :

« IV.- La détermination des missions de sécurité des biens et des personnes qui sont incompatibles avec l'exercice du droit de retrait individuel défini ci-dessus en tant que celui-ci compromettrait l'exécution même des missions propres de ce service, notamment dans les domaines de la douane, de la police, de l'administration pénitentiaire et de la sécurité civile, est effectuée par voie d'arrêté interministériel du ministre chargé de la fonction publique, du ministre chargé du travail et du ministre dont relève le domaine, pris après avis de la formation spécialisée en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail ministérielle compétente et de la commission centrale d'hygiène et de sécurité du Conseil supérieur de la fonction publique de l'État. »

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