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Une rupture conventionnelle peut-elle prévoir une clause de renonciation à tout recours après la fin de la relation de travail ?

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17/10/2024
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Une rupture conventionnelle se négocie au cours d’un ou plusieurs entretiens entre l’employeur et le salarié (droit du travail dans le secteur privé) ou l’agent public (droit de la fonction publique).

Son objet est de fixer les modalités de la rupture de la relation de travail, dans les conditions prévues par la loi.

Dans certains cas, les employeurs veulent négocier, sinon imposer, une clause de renonciation à tout recours de la part de leurs employés.

Cette possibilité est strictement limitée à certaines conditions, contrôlées par le juge prud’homal (salariés) et le juge administratif (agents publics) en cas de différends survenant postérieurement à la fin de la relation de travail.

Les clauses de renonciation dans les ruptures conventionnelles des salariés (secteur privé)

En droit privé du travail, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 26 juin 2013 (12-15.208, publié au bulletin), que « la cour d'appel a retenu à bon droit qu'une clause de renonciation à tout recours contenue dans une convention de rupture conclue en application de l'article L. 1237-11 du code du travail devait être réputée non écrite, comme contraire à l'article L. 1237-14 du même code, sans qu'en soit affectée la validité de la convention elle-même ».

Par un autre arrêt de la chambre sociale paru quelques mois plus tard (26 mars 2014, n° 12­-21.136, publié au bulletin, la Cour de cassation a admis la possibilité de conclure une transaction à la suite d'une rupture conventionnelle à une double condition :

-        que la transaction intervienne postérieurement à l'homologation de la rupture conventionnelle, ou à l'autorisation de l'administration s'il s'agit d'un salarié protégé ;

-        et qu'elle ne règle pas un différend relatif à la rupture du contrat mais à son exécution sur des éléments non compris dans la convention de rupture.

En somme la Cour de cassation établit une distinction claire entre les deux actes poursuivant des objets différents :

·        une rupture conventionnelle doit viser à organiser les conditions de la cessation des relations de travail entre deux parties ;

·        la transaction doit viser à terminer une contestation née ou prévenir une contestation à naître, relative à l’exécution du contrat de travail.

La même distinction semble prévaloir en droit de la fonction publique concernant la rupture négociée de la relation de travail.

Les clauses de renonciation dans les ruptures conventionnelles des agents publics titulaires et contractuels (secteur public)

En droit de la fonction publique, la notion de rupture conventionnelle est récente, introduite, pour une durée a priori limitée à 5 ans, par l’article 72 de la loi n°2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, qui dispose notamment que : « […] La rupture conventionnelle résulte d'une convention signée par les deux parties. La convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle, qui ne peut pas être inférieur à un montant fixé par décret. /[…] »

Le décret n°2019-1593 du 31 décembre 2019 relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique est ensuite venu préciser son régime au sein de la fonction publique.

Ce décret ne mentionne pas la possibilité d’introduire une clause de renonciation à tout recours au sein d’une rupture conventionnelle.

Il ne semble toutefois résulter d’aucun texte ni d’aucune jurisprudence que cette pratique serait prohibée.

L’article 4 du décret n° 2019-1593 du 31 décembre 2019 prévoit qu’un entretien préalable est organisé afin notamment d’avertir l’agent des conséquences de cette rupture :

« Le ou les entretiens préalables prévus à l'article 2 portent principalement sur :

1° Les motifs de la demande et le principe de la rupture conventionnelle ;

2° La fixation de la date de la cessation définitive des fonctions ;

3° Le montant envisagé de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle ;

4° Les conséquences de la cessation définitive des fonctions, notamment le bénéfice de l'assurance chômage, l'obligation de remboursement prévue à l'article 8 et le respect des obligations déontologiques prévues aux articles 25 octies et 26 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée et à l'article 432-13 du code pénal. ».

De même, les modèles de conventions de rupture conventionnelle publiés dans l’arrêté du 6 février 2020 fixant les modèles de convention de rupture conventionnelle prévus par le décret n° 2019-1593 relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique ne mentionnent pas la possibilité ou l’interdiction d’insérer une telle clause dans la convention.

Au même titre que pour les salariés du secteur privé, il semble que rupture conventionnelle et transaction doivent être distinguées.

La pratique de la rupture conventionnelle étant récente dans la fonction publique, la jurisprudence n’apporte qu’un éclairage limité (au contraire de la jurisprudence fournie de la Cour de cassation).

Quelques décisions sont néanmoins à souligner :

·        CAA Bordeaux, 31 mai 2022, n° 20BX00502 :

« Il ressort des pièces du dossier qu'en application du décret du 31 décembre 2019 relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique, une convention actant la cessation de fonctions de Mme B au sein du centre hospitalier a été signée le 8 juillet 2020 entre les parties. Cette convention précise que Mme B cessera définitivement ses fonctions à compter du 31 juillet 2020, moyennant une indemnité de 10 411 euros, et qu'elle vaut arrêté de compte définitif entre les parties qui déclarent expressément et irrévocablement renoncer à toute autre prétention. Toutefois, elle ne peut, par son objet et en l'absence de toute précision en ce sens, être regardée comme un protocole transactionnel mettant fin au litige alors en instance devant la cour, relatif au refus de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident du 25 mars 2017, à l'affectation de Mme B à l'unité d'accueil des patients EVC et à la réparation des préjudices attribués à un harcèlement moral et à un manquement à l'obligation de protection de sa santé. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer opposée par le centre hospitalier doit être écartée. »

·        TA Poitiers, 23 octobre 2023, n° 2102270 :

Les faits opposent une aide-soignante titulaire et son ex-employeur, un centre hospitalier au sujet de la date de son placement en congé pour maladie professionnelle. Les deux parties avaient signé une rupture conventionnelle le 27 décembre 2022 comportant notamment la mention suivante : « le présent accord vaut arrêté de compte définitif entre les parties qui déclarent expressément et irrévocablement renoncer à toute autre prétention et à toute démarche contentieuse en lien avec un évènement ou un élément antérieur à la signature de la présente convention ».

Le centre hospitalier opposait ainsi un non-lieu à statuer au recours formé par la requérante fondé sur cette clause de renonciation à toute démarche contentieuse. Or, le TA écarte ce non-lieu à statuer en indiquant que :

« cette convention qui portait sur la cessation de fonctions de la requérante, ne peut, par son objet et en l'absence de toute précision en ce sens, être regardée comme un protocole transactionnel relatif à la date de début de la maladie professionnelle de Mme A mettant fin au présent litige. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer opposée par le centre hospitalier doit être écartée. ».

Les juges ont ensuite procédé à l’examen des conclusions à fin d’annulation et ont donné raison à la requérante.  

Par suite, il semblerait que le juge administratif fasse sien le raisonnement de la Chambre sociale de la Cour de cassation, en distinguant entre la rupture conventionnelle, ayant pour objet la cessation des fonctions, et un protocole transactionnel qui aurait pu avoir comme objet de mettre fin au présent litige.

A noter toutefois que la mention « en l'absence de toute précision en ce sens » pourrait éventuellement laisser penser qu’une clause de renonciation particulièrement détaillée et précise aurait pu être accueillie, ou qu’un protocole transactionnel portant sur un autre point de ceux prévus pour la rupture conventionnelle aurait pu être joint à celle-ci, dans le même document (v. a contrario le jugement du TA Amiens, 22 décembre 2022, n° 2002856). Il s’agit d’un jugement isolé et la rupture conventionnelle ne contenait pas une telle clause, sa portée semble donc particulièrement réduite sur cette question.

La question est donc de savoir s’il est possible pour une administration employeur et son agent de transiger, et plus particulièrement sur un renoncement à une action pénale ou administrative contentieuse.

L’article L 423-1 du Code des relations entre le public et l'administration dispose que :

« Ainsi que le prévoit l'article 2044 du code civil et sous réserve qu'elle porte sur un objet licite et contienne des concessions réciproques et équilibrées, il peut être recouru à une transaction pour terminer une contestation née ou prévenir une contestation à naître avec l'administration. La transaction est formalisée par un contrat écrit. »

L’article 2044 du code civil prévoit quant à lui que :

« La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.

Ce contrat doit être rédigé par écrit. »

 Et l’article 6 du même code impose que :

« On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs »

Il est admis que l’administration peut conclure une transaction afin de mettre fin à l'ensemble des litiges nés ou qui pourraient naître d'une décision administrative, incluant la demande d'annulation pour excès de pouvoir de cette décision et celle qui tend à la réparation des préjudices résultant de son éventuelle illégalité (v. CE 6 juin 2019, CH de Sedan, no 412732, T.)

En toute hypothèse, une telle transaction doit respecter les limites et conditions posées par les textes précités. Notamment :

·        L’objet de la transaction doit être licite et ne pas déroger aux bonnes mœurs ni aux lois qui intéressent l’ordre public ;

·        La transaction doit prévoir des concessions réciproques et équilibrées.

La Cour de cassation, dont la solution paraît s’appliquer également au droit de la fonction publique, a précisé qu’on ne peut renoncer à l'exercice d'un droit si celui-ci relève d'un texte d'ordre public (v. Civ 3e, 3 novembre 2011, n°10-26.203, Publié au bulletin).

=> Une distinction doit être faite entre renoncer à une action pénale ou à une action devant la juridiction administrative :

En premier lieu, les lois pénales sont pour l’essentiel d’ordre public, de sorte qu’il n’est en principe pas permis d’y déroger par des conventions. 

En tout état de cause, l'opportunité des poursuites appartient au procureur de la République, de sorte que même si la victime renonce in fine à déposer une plainte, celui-ci peut toujours poursuivre s’il estime qu’une infraction a été commise. Par ailleurs, il n’est pas non plus possible de s’engager à ne pas témoigner dans le cadre d’une instruction ou d’un procès pénal (pour rappel, la subornation de témoin constitue une infraction punie par la loi).

En second lieu, s’agissant de la renonciation à un litige de nature administrative, il a été jugé que « l’article 6 du code civil interdit de déroger par convention aux lois qui intéressent l’ordre public. Il résulte de ces dispositions que l’administration peut, ainsi que le rappelle désormais l’article L. 423-1 du code des relations entre le public et l’administration, afin de prévenir ou d’éteindre un litige, légalement conclure avec un particulier un protocole transactionnel, sous réserve de la licéité de l’objet de ce dernier, de l’existence de concessions réciproques et équilibrées entre les parties et du respect de l’ordre public. » (CE, 5 juin 2019, n°412732). Dans cette décision, le juge administratif a admis la possibilité de transiger concernant le droit à l’admission à la retraite pour invalidité.

Cependant, il importe de préciser que l’objet d’une transaction se prête à des concessions réciproques et équilibrées entre les parties, ce qui ne saurait être le cas lorsque l’application de dispositions législatives exclut pour leur application toute recherche de concessions réciproques et équilibrées entre les parties (CE, 26 octobre 2018, n°421292, T. : à propos des conditions de la rémunération du travail des personnes détenues, qui sont toutes entières régies par le code de procédure pénale).

Concernant la protection fonctionnelle susceptible d’être réclamée par un agent public en cas notamment d’agression ou de harcèlement à son encontre pendant le service, celle-ci constitue, sur le fondement de dispositions législatives, « une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général ». Cette obligation légale a également été érigée en principe général du droit par le Conseil d’État (CE, 29 juin 2020, 423996, publié), auquel il ne peut être dérogé que pour des motifs d’intérêt général (v. CE, 31 mars 2010, 318710, publié : refus d’accorder la protection fonctionnelle justifié par l’absence de toute chance de succès d’un recours).

En conclusion :

Un employeur privé ou public peut trouver un accord avec son employé pour convenir par transaction d’abandonner certaines prétentions et la possibilité de les porter devant un juge.

Cependant, il n’est pas possible d’espérer se couvrir d’une potentielle plainte pénale en acceptant de conclure une rupture conventionnelle, même associée à une transaction.

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